HAÏTI, comme la Hollande européenne, a une population de 9 millions d’habitants. Pourtant on ne connait guère de révolutions hollandaises sinon un pays froid, de technologie avancée, observant autrefois sur les rivages l’arrivée de leurs frères, les Vikings, tentant à maintes reprises de coloniser, parait-il, le Canada ou les Etats-Unis au nom de la Reine d’Angleterre. Malgré les différentes calamités naturelles ou extraordinaires qu’a connues Haïti, il reste que ce pays a poursuivi et poursuit encore sa route vers une destinée totalement inconnue, surtout depuis le 12 janvier 2010.
par Saint-John Kauss
Le débarquement de Christophe Colomb, sur l’île d’Ayiti en 1492, portait déjà ses germes de malheur. Cinq caciquats ou royaumes d’Amérindiens furent totalement décimés en l’espace d’un cillement. A telle enseigne que le complice Padre Barthélémy de las Casas eut à demander grâce pour les habitants de l’île et aurait multiplié ses influences auprès de la Reine d’Espagne, Isabelle la Catholique (sic), afin de faire venir d’autres mains de l’Afrique et ce, dans le plus bref des délais. Les Amérindiens mouraient par milliers suite à des châtiments corporels et à la force, l’intensité du travail demandé. On pourrait les parquer comme aujourd’hui, les déplacer au gré du vent comme l’avait fait l’Américain Jackson ou Buffalo Bill. Mais qui allait s’occuper des moissons à récolter ?
De cette question surgit alors la traite des Noirs venus d’Afrique. Le peu d’Amérindiens qui survivaient, prenaient le maquis dans les mornes accompagnés de leur chef, le Cacique Henri. Les nouveaux arrivants prenaient alors la relève, bien entendu montés par des loas qui leur permettraient non seulement de traverser l’Océan, mais encore de survivre dans les cases et plantations, remplis de honte et d’humiliations. L’Amérindien est homme d’honneur. Le Nègre est le prototype de la diligence et de la ténacité.
Ainsi naquit une nouvelle Espagne (Saint-Domingue), la première colonisation du Nouveau Monde, la première cathédrale des Amériques, celle de Santo-Domingo. Par le travail de l’esclave désormais noir est née une riche cité, des villes, des structures d’une nouvelle société, et une terre où désormais l’Europe entière pourrait venir se faire bronzer. Christophe Colomb, l’artisan de cette traversée, entre les ans, fut mis aux en-fers à la suite de plaintes et complots de toutes sortes contre sa personne auprès de la Reine. Qui dit qu’on ne paie pas toujours son crime ?
Pendant que l’Espagne se réjouissait de cet acquis fabuleux, et que tous les paresseux et proxénètes de la terre s’y donnaient rendez-vous, des aventuriers français, des flibustiers, prenaient possession de la partie occidentale et montagneuse de l’île dénommée aujourd’hui HAITI. A l’instar des autres criminels installés à l’autre bout de l’île, ils firent venir aussi des esclaves noirs d’Afrique (Nigéria, Bénin, Côte d’Ivoire, Congo, Sénégal, Togo, Cameroun, etc.), et c’est ainsi qu’a commencé notre calvaire d’Haïtien. Des villages et familles entières ont été brassés et séparés comme des cartes de jeux pour les envois en Amérique et dans les Antilles.
D’esclaves mal-barrés aux emplois de commandeurs de plantations, de cochers à chefs des cases, de forgerons à ébénistes, de cuisiniers à féticheurs, de ferblantiers à hommes de cour, de petits tailleurs à coiffeurs, de cordonniers à brouettiers, de gouvernantes de villas à garçons de chevaux, d’individus soumis à esclaves révoltés, d’affranchis collaborateurs à affranchis en rébellion, on aura tout vu de ces Nègres et de leurs talents de communicateurs. Et c’est ainsi qu’ont surgi des tenèbres saint-dominguoises des têtes d’affiche comme Chavannes, Mackandal, Boukman, Toussaint, Dessalines ou Christophe. L’élimination de Caonabo par noyade de la part des Espagnols ainsi que de la reine Anacaona par le feu ont conduit à la présence des esclaves noirs et à Chavannes (L’affaire d’Ogé et de Chavannes), et à Mackandal (de mutinerie en mutinerie), et à Boukman (la fameuse cérémonie du Bois-Caïman), et à Toussaint (de volte-face au pouvoir suprême), et à Dessalines (de la guerre déclarée à l’Acte de l’Indépendance), et à Christophe (de serviteur à l’extrême bâtisseur). De Santo-Domingo (République Dominicaine) à Port-au-Prince (Haïti), la ligne est désormais tracée ou scellée entre les destinées de ces deux pays. On dirait que nous devrions à jamais cohabiter ensemble, mélange de trois races, brassage de trois peuples, naissance d’une seule nation. Les partisans du vaudou qui l’ont d’ailleurs compris, parlent souvent de loas créoles ou multiformes. Car les Amérindiens servaient leurs dieux, les Zémès ; les Européens sont arrivés à la fin du XVe siècle avec leur Grand et Petit Albert ; et les Noirs avec leurs loas, de 21 nations, venus d’Afrique. D’où le brassage et la récurrence de ce qu’on connait aujourd’hui dans le Vaudou.
Ces changements de rang social chez les esclaves et la politique en France (1789, Déclaration des droits de l’homme), l’arrivée du Commissaire Sonthonax dans l’île, l’Affaire Vilatte, l’Affaire Rigaud, leur réembarquement par le général Toussaint vers la Métropole, la trahison et l’arrestation de ce dernier par les Français, l’alliance des Noirs (Dessalines) et des Mulâtres (Pétion) ont permis l’Indépendance haïtienne et, par la suite, la mainmise des Haïtiens sur l’île entière. Ainsi donc, Haïti devenait la seconde nation libre du continent américain après les Etats-Unis et la première révolution d’esclaves noirs aboutissant à la liberté totale.
Les révolutionnaires haïtiens, en lieu et place d’une nouvelle mentalité, ont plutôt fait resurgir le spectre d’un nouveau colonialisme : le néocolonialisme à l’haïtienne, le premier prototype de ce genre. A partir d’anciennes structures et de nouvelles concoctées de toutes pièces, ils se sont donc mis à décortiquer le pays et les classes sociales. Le Paysan noir devient un nègre en dehors (nèg andeyo) du pouvoir et de la ville, le Colon blanc disparu de la circulation haïtienne depuis la Révolution, et les Affranchis (gens de couleur, noirs libres, et généraux de l’Indépendance) au timon des Affaires de l’Etat. C’est en ce sens que nous devons maintenant comprendre l’alliance d’Ogé et de Chavannes, le rapprochement de Pétion vers Dessalines malgré l’échec de Vilatte et de Rigaud auprès de Toussaint Louverture.
Ce n’est pas sans nulle raison qu’on a tué l’Empereur Dessalines. Une autre forme d’alliance entre ses généraux, comme ce serait plus tard le cas d’Henry Christophe, aurait raison de lui. Dessalines, vaudouisant, avait la vision d’une autre réalité pour Haïti. L’Empereur voulait tellement l’union des Noirs et des Mulâtres qu’il serait prêt à marier sa fille avec Pétion. Dessalines voulait aussi un partage équitable des terres et biens entre les fils de l’Indépendance. Voilà pourquoi il a osé se rendre dans le Sud et faire le recensement des biens et propriétés. A son retour à Port-au-Prince, il a été invité en tant que futur beau-père de Pétion, et a été massacré. Ses restes, rejetés dans une poubelle, ont été emportés, par pur hasard, par Défilé, une folle de Port-au-Prince, jusqu’au Pont Rouge. Son nom a même été interdit de citation dans les salons port-au-princiens.
Le général Pétion, amant de Pauline Bonarpate, soeur de l’Empereur, femme du Général Leclerc, n’était-il pas rentré en Haïti avec l’expédition française, en tant qu’officier de l’armée pour rétablir l’esclavage ? Dessalines devrait comprendre que si Pétion pouvait trahir l’Empereur Bonarpate, il le ferait à lui-même également. Par le jeu des alliances, surtout en politique, tout homme est faillible.
La mort de l’Empereur Dessalines fit l’affaire de toute l’Amérique, et surtout de l’Europe. Des négociateurs de tout acabit ont été envoyés aux deux présidents d’Haïti de l’époque, Henry Christophe (Nord du pays) et Alexandre Pétion (Ouest). Le roi Christophe les fusillait ou les faisait assassiner, alors que Pétion les recevait. De toute évidence, à la mort de Dessalines, ses proches alliés ont tous été mis en prison ou fusillés, le concept de l’exil n’étant pas à la mode.
Nous avions eu, depuis ces deux derniers chefs d’Etat, à faire face à toutes les calamités du monde en tant que Nation. L’assassinat de notre Empereur par les siens a probablement jeté le châtiment du sang versé sur tous les Haïtiens. Des historiens comme Charlier pensent qu’il faisait partie du complot contre Toussaint, ou plutôt contre sa politique. D’autres relatent que Christophe était de l’alliance contre Dessalines avec Pétion, et que Christophe lui-même s’est fait prendre par le successeur de Pétion, Jean-Pierre Boyer. Le président Pétion, de son côté, par sa femme Joute et Boyer qui était le commandant de la garde présidentielle et l’amant de Joute. Cette dernière résidera durant toute la présidence de Pétion et de Boyer au Palais National en tant que Première Dame de la république pendant plus de trente-cinq ans.
On peut dès lors facilement comprendre cette manie du complot et du coup d’Etat chez l’Haïtien, à l’école, dans les universités, dans les grandes institutions privées ou publiques, au Palais National, et même dans sa famille. C’est une tradition tirée de l’esclavage ou même de l’Afrique des Rois. Ce méchant réflexe a pris source depuis les rivages africains jusqu’aux plantations saint-dominguoises dans un souci de complexe de supériorité ou d’infériorité. L’autre n’est jamais bon et ne fait jamais assez. Il faut donc l’éliminer.
Depuis l’Indépendance, quarante-cinq présidents d’Haïti ont été recensés. Dix-sept ont été exilés, sept morts en fonction, quatre assassinés, dix renversés, et six présidents chanceux ont fini leur mandat. Les structures mises en place par néocolonialisme après l’Indépendance, la mise au rancart de la majorité silencieuse des Haïtiens, la prise du pouvoir par les anciens révolutionnaires au détriment du peuple, l’expression de la lutte des classes, entre les classes sociales, conduiraient à la violence et à la révolte des mécontents. D’ou notre première occupation...américaine le 28 juillet 1915.
(à suivre)